Biographie

La poésie n’est pas une solution / Aucune solution n’est une poésie

Serge Pey est né en 1950 à Toulouse d’une mère couturière et d’un père ouvrier du bâtiment réfugié politique de la guerre civile espagnole. Ses années d’enfance marqueront durablement l’engagement de sa vie solidaire auprès des mouvements de libération, de résistance ou d’espérance. Tôt, dans son enfance, il entre en contact avec la poésie espagnole et française. Garcia Lorca, Miguel Hernandez, Pablo Neruda, François Villon, Guillevic, Rimbaud, veilleront sur ses récitations d’écolier. Dans « La boîte aux lettres du cimetière », il raconte la liaison particulière qu’il entretient avec Antonio Machado.
Poète d’action, plasticien, romancier, philosophe du poème, il est l’auteur d’une centaine de publications en France et à l’étranger. À la fin des années soixante-dix, il commence ses « Dictées de poèmes ». Sur des cahiers qu’il distribue au public, des dizaines de manuscrits seront retranscrits de cette façon par l’assistance, qui les signe ensuite en commun avec lui. De la ville et du Fleuve, ou Prophéties (Tribu), sont issus de ces happenings d’autoédition collective.

LA PAROLE DES BÂTONS

Dans la même période, le poète rédige ses textes sur des bâtons avec lesquels il manifeste ses scansions et ses performances, ainsi que des installations qu’il nomme « pièges à infini ».
Parmi ces recueils évadés de l’écriture des bâtons relevons : La Définition de l’Aigle, L’Enfant archéologue (Jacques Brémond), Notre Dame la Noire ou l’Évangile du Serpent (Tribu), Poème pour un peuple mort (Sixtus), La mère du cercle (Travers), Traité des chemins et des bâtons (Bois d’Orion), Le Millier de l’air (Fata Morgana), Nihil et Consolamentum (Délit édition) Poésie secrète, poésie publique (Castor Astral), Visages de l’échelle, de la chaise et du feu (Bernard Dumerchez), Bâtons de la différence entre les bruits (La part commune). Dieu est un chien dans les arbres, qui rassemble ses paroles des bâtons est édité chez Jean-Michel Place. Ce support, arraché aux arbres, reste pour le poète, une métaphore de la poésie convoyant ses marches à travers le monde, tout en proclamant le slogan mystique de Joë Bousquet, « Non une poésie de rêve, mais de réveil ». Ahuc, poèmes stratégiques (Flammarion), sous la direction d’Yves di Manno, rassemble plusieurs centaines de ses bâtons écrits. Le carnaval des poètes, (Flammarion) est une critique de la poésie contemporaine.

ARTISTE PLASTICIEN

Dessinateur, sculpteur et muraliste, de multiples espaces ont exposé ses compositions : la Galerie Lara Vincy de Paris, le Moulin de Ventabren, la galerie Jacques Donguy à la Bastille, le Centre d’art et de littérature de l’Échelle, la Médiathèque de La Roche-sur-Yon, le Parc de la préhistoire de Tarascon, la galerie Louise Michel de Poitiers, la biennale de Melle, le Lieu à Québec, le Théâtre Garonne, la Biennale de Venise, la Documenta off de Kassel où il faut censuré, la Bibliothèque Doucet, l’IMEC, La Maison rouge à travers la collection de Jean-Jacques Lebel, ainsi que la plupart des capitales européennes.
Les Abattoirs, le Musée d’art contemporain de la ville de Toulouse ont consacré à ses constructions esthétiques, dans le cadre de Dream Time, une exposition sous le titre de « Tombeau pour Saartjie Baartman ». La même année, il exécuta une mise en place de plaque de verre consacrée à Antonio Gramsci, en Sardaigne. Ses écritures du courage, en hommage à la résistance de la pensée, sont exposées en tant qu’œuvres permanentes au Conseil régional Midi-Pyrénées.

D’autres plasticiens ont partagé son aventure poétique comme le peintre Corneille fondateur du mouvement COBRA illustrateur de l’évangile du serpent, Joan Jorda (Les poupées de Rivesaltes), Jean Capdeville (le Millier de l’air, Fata Morgana), le tchèque Jiri Kolar ou le mexicain José Luis Cuevas (Dumerchez), ou encore Kijno (L’enfant archéologue, chez Jacques Brémond). Poète, martelant sa poésie avec ses pieds, Antoni Tapies dessina pour lui l’affiche des premières Rencontres de poésie contemporaine, les Continents de la parole, qu’il créa à Toulouse en 1981 avec le CPC du Mirail. L’Atelier des Grames, Artcib-Lab, Incidences, Gruppen ont publié nombre de ses poèmes visuels-sonores.

Mathématique générale de l'infini
Quelqu’un tire un coup de silence dans l’eau
et compte les cercles évadés du centre
Dans un avenir derrière nous
un aboiement nous retient
Serge Pey
LA MARCHE DU POÈME ET LA POÉSIE ACTION

Représentant majeur international, de la Poésie-action, Serge Pey est un poète nomade qui porte sa parole dans les territoires du « proche-lointain » : rue, cimetières, écoles, usines, appartements. Celui que Rafael Alberti qualifiera de « poète des murs », inventera au début des années quatre-vingt, l’internationale de la poésie acrylique dans laquelle il dévoile les graphies secrètes des bandes urbaines américaines, comme celle des « panchitos » de Mexico.
Droit de voirie, Lèpres à un jeune poète, Appel aux Survenants (Maelström ReÉvolution) retracent ses multiples poésies d’action, comme celle sur la tombe d’André Breton lors de la vente de l’atelier de la rue Fontaine. Lors de la mise en place de ses barricades de poèmes, élevées en barrant des rues avec des adhésifs, il affiche les poèmes regroupés désormais dans des recueils tels : La main et le couteau (Parole d’aube), Pour libérer les vivants il faut savoir aussi libérer les morts (Voix éditions), Tombeau pour un miaulement (Gruppen) ou encore Dialectique de la tour de Pise (Le Dernier Télégramme). Explorateur de toutes les ressources de la poésie orale, ses poèmes jalonnent aussi dans les anthologies conçues par André Velter : Orphée Studio, Poèmes à dire du XXe siècle, Des poètes pour l’espérance, Éros émerveillé (Gallimard).
Son livre POÉSIE ACTION, Manifeste d’écritures provisoires pour un temps intranquille, (Castor astral) retrace les événements de ce courant de la poésie qui a choisi un autre territoire à côté de la page pour se manifester.
Serge Pey mène un exercice singulier dans la poésie contemporaine française. Sa pratique de la poésie directe l’a conduit à approfondir les phénomènes de possession et de dépossession dans la façon orale du poème, ainsi qu’un nouveau rapport à la diction, et à sa réalisation physique.
Concepteur du premier livre immédiat du Monde à Mexico, en 1984, il est aussi un des principaux acteurs du groupe international de la poésie directe.
Son art particulier mêle à la fois certains aspects du happening, de la poésie acoustique, de l’installation ou de l’agit-prop. Créateur de situations, il déplace le poème hors du livre jusqu’à ses plus ultimes conséquences.
Invité à Polyphonix, aux Parvis poétiques, au Marché de la poésie, à la Parole errante, et dans tous les théâtres de résistance de la parole, comme au Meeting poétique de la Mutualité. Sa geste du poème est promue régulièrement dans les centres d’art alternatif du monde de l’art-action, comme le Lieu à Québec ou le NIPAF au Japon.
Avec Marcos Kurktykz, il réalisa à Mexico et dans le monde, d’innombrables actions de rue.

La fonction scénique de Serge Pey se déploie autour des formes hybrides de la poésie qu’il affectionne.
Ne sois pas un poète sois un corbeau, Chants électro-néolithiques pour Chiara Mulas, Dialectique de la tour de Pise, Manifeste magdalénien, critique du temps (Le Dernier télégramme) sont des poèmes privilégiant des rédactions inédites de l’oralité poétique
Membre du comité de lecture de la revue d’art action, Inter de Québec, il fut le concepteur du numéro sur la problématique du rituel dans l’art de la performance.
Rattaché aux avant-gardes de la poésie sonore, Serge Pey reste cependant un inclassable.
En 1989, il lance le Front de la philosophie directe, rompant avec les cloisonnements qui cantonnent le poème uniquement dans un usage du langage. Il donne en ce sens une définition innovatrice de la performance, face à son éclosion actuelle sous forme de divertissement.
La pensée du poème se faisant acte, il fait remonter le courant qu’il représente aux cyniques grecs, les premiers inventeurs pour lui du happening et de la poésie directe.
Il est le fondateur, et l’initiateur, des Marches internationales de la Poésie depuis 1981.
Lors de sa dernière marche, « La boîte aux lettres du cimetière » (2014), il traversa le sud de la France et porta sur la tombe du poète Antonio Machado plusieurs centaines de lettres.
Un long métrage de Francis Fourcou retrace cette longue marche.
Plusieurs DVD exposent ses interventions de poésie physique : l’Internationale du rythme (Atelier des brisants), Ahuc, poèmes stratégiques (Flammarion), Serge Pey OPEN : Pourquoi j’écrase des tomates en disant la plupart de mes poèmes ? (DOCKS)

COMPAGNONS DE ROUTE

Il a souvent partagé ses récitals lors de récitals communs avec Allen Ginsberg, John Giorno, Ghérasim Luca, Esther Ferrer, Richard Martel, Boris Nieslony, Seiji Shimoda, Tokio Marumaya, Bartolomé Ferrando, Jean-Jacques Lebel, Julien Blaine, William Burroughs, Bernard Heidsieck, Démosthène Agrafiotis ou Titos Patrikios.
Il participa, comme éditeur, ou acteur aux cris d’avant-garde proférés par ses frères de scène Armand Gatti (Nous étions tous des noms d’arbres) et André Benedetto (Théâtre des carmes et Nuits de la poésie). Militant d’un théâtre inexploré aux lisières de la poésie et de la vie, il accompagna le Leaving Theater durant ses pérégrinations insurrectionnelles. Il récita ainsi ses « poèmes giratoires », ensemble avec Julian Beck, quelques jours avant sa mort.
Jerome Rothemberg, Adonis, Joan Brossa, Fernando Arrabal, Giovanni Fontana, Rafael Alberti, Raul Zurita, ou encore Ramiro Oviedo ont accompagné régulièrement ses proférations par leurs écrits, et durant leurs textes performés en commun.
Depuis 2006, il mène son travail de « poésie intranquille » avec l’artiste vidéaste sarde Chiara Mulas (Pékin, New York, Santiago du Chili, Madrid, Lima, Bruxelles, Belgrade, Budapest).
Sous la direction d’Andreas Pfersmann, l’université Sophia Antipolis de Nice, organisa en 2002, le colloque : Serge Pey et l’Internationale du rythme. Cet ouvrage majeur rassemble des dizaines de témoignages rappelant son aventure poétique, comme ceux de Bernard Noël, Henri Meschonnic, Adonis, Henri Chopin, Abdellatif Laâbi, André Benedetto, Patrick Quillier, Michael Lowy, Pierre Ouellet, Charles Pennequin, André Velter, Ozdemir Ince, Arlette Albert-Birot… Autant de compagnons de route qui saluent dans cet ouvrage son engagement, et l’aventure de sa poésie traversant le corps, la voix et la vie.

UNE COMMUNION DES LANGUES

Nouvelliste, ses livres Le trésor de la guerre d’Espagne, La boîte aux lettres du cimetière (Zulma), Histoires sardes d’espérances, de meurtres et d’animaux particuliers (Castor Astral) relatent les expériences fondatrices de son existence dont il tire les expériences spirituelles escortant sa poésie.
Homme de plusieurs exils, sa lyrique est traversée par les langues entendues de son enfance, comme l’espagnol, le catalan ou l’occitan. Marqué par son aventure mexicaine, dans laquelle il fit la rencontre de Jean Clarence Lambert, il a consacré un ouvrage à Octavio Paz autour d’une vingtaine de lettres rédigées à partir des arcanes majeurs du tarot (Éd. Jean-Michel Place). Peu après le massacre de Tlatelolco (Mexico), sa rencontre avec l’auteur de L’arc et la lyre lui ouvrit un nouveau créneau de questionnement sur le statut du poète dans l’histoire.
Le livre immédiat de Tepoztlan, village mexicain dans lequel il séjourna épisodiquement, durant de longues périodes, est le témoignage d’une des expériences les plus singulières d’un happening de poésie contemporaine en Amérique latine.
À Mexico, ville dans laquelle réside une partie de son cheminement, il partagea ses « cris lumineux », en 1976, avec notamment Roberto Bolaño et Mario Santiago Papasquiaro, les poètes infraréalistes.
Il fonda le groupe d’action-flamenco, « Los Afiladores », mêlant ses poèmes au Cante Jondo, à la guitare et à la danse flamenca.
Nihil et Consolamentum (Délit édition) Notre Dame la Noire ou l’Évangile du Serpent (Tribu), dans les adaptations et traductions d’Alem Surre Garcia et d’Éric Fraj, sont des jalons de la grande lyrique Occitane. Yves Rouquette évoquera son engagement parmi ceux des derniers cathares.

Entre Montségur et Larzac, Bélibaste et Bartolomé de Carcassonne, Claude Marti partagera avec lui ses « Corbières chantées ». Avec son aîné, Bernard Manciet, il sillonna les terres du poème dans un « mano à mano », occitan-français. Adonis préfaça un des ses premiers livres de poème, Dieu est un chien dans les arbres, (Ed Jean-Michel Place). Durant plusieurs années, il récita Les singes électroniques de son ami Abdellatif Laâbi, alors incarcéré au Maroc.
Figurant dans l’anthologie les Techniciens du sacré (José Corti), anthologie réunie par Yves di Mano, autour de Jerome Rothemberg il remémore sa traversée poétique et hallucinogène des Indiens Huicholes du Mexique. Ces derniers, adorateurs du soleil et détenteurs des rites du peyotl, sont le sujet de son Nierika ou les mémoires du cinquième soleil (Temps des cerises, Maison de la poésie Rhône-Alpes).
La barque de pierre (Voix édition, Richard Meyer) est une incarnation de la langue des pêcheurs catalans et de sa famille immigrée. Chants électro-néolithiques pour Chiara Mulas (Dernier télégramme) est un hommage à la terre sarde, et aux mystères de cette grande île des « tours atlantides » évoquées par Platon.
Le journal des hommes-couvertures de Long Kesh (Les Petits Classiques du Grand Pirate) est une célébration de l’alphabet « ogham » retraçant la grève de la faim des militants irlandais emprisonnés. Dans Vengeons les mots (Éd. Bruno Doucey) le poète, à travers la langue des signes des Indiens des plaines, participe à la campagne pour la libération de Léonard Peltier, membre de l’American Indian Mouvement emprisonné aux USA depuis 1976.

VOIX, SONS ET MUSIQUE

Ses poèmes sont diffusés sur France-Culture : Poésie sur Parole, Les Poétiques d’André Velter, Ça rime à quoi, (Sophie Nauleau) et Demain la poésie. Jacques Bonnaffé, Denis Lavant, Pierre Joris, Jacques Weber se sont prêtés à la récitation de ses « morceaux de vie arrachés à la langue ». Les Ateliers de création radiophonique de René Farabet ont produit son œuvre sonore sur le peyotl, et une autre autour du flamenco, lors d’un hommage consacré à la danseuse La Joselito. L’émission « À l’improviste », sur France-Musique, enregistra et diffusa son concert avec Julen et Beñat Achiary.
Le Théâtre du rond-point, l’Odéon, les Bouffes du Nord, le TNT de Toulouse, le Centre Georges Pompidou lui ont ouvert leur scène centrale. Il est le premier poète occidental a avoir été accueilli sur la place Djama el Fana à Marrakech, avec Michel Raji, en 2001, par la confrérie des conteurs. Une partie de son travail écrit connaît aussi une diffusion enregistrée : L’Évangile du serpent, Nihil et Consolamentum, Les diseurs de musique, la mère du cercle, Poème de l’urine (Erratum musical), le Complexe de la viande…
À la suite de nombreux récitals communs Allen Ginsberg, Yves Le Pellec et Serge Pey publièrent ensemble un disque retraçant leur aventure vocale et publique.
Michel Doneda, Lee Quan Nhin, Bernard Lubat, Marc Péronne, Jean Pierre Lafitte, Daunick Lazro, Ahmed Bend Diab, étage 34, Dominique Répequeau, Laurent Dailleau, Dominique Regef, Mixel Etchecopart, Éric Fraj, Sergio Lopez, Kiko Ruiz, Mariano Zamora, Pedro Soler, Bernat Combi, Gaspard Claus… ont partagé son travail de profération et de rythmique. Il convient de souligner les mythiques concerts qu’il réalisa avec son ami André Minvielle, ainsi que le disque qu’ils éditèrent : « Nous sommes cernés par les cibles » (Labeluz).

ÉMEUTE, TRIBU, RIPOSTE : UNE ŒUVRE ENGAGÉE

En 1975, Serge Pey fonde la revue ÉMEUTE (1974), puis TRIBU (1981). En fondant le collectif RIPOSTE, il affiche avec ses compagnons une série de poèmes en situation. En 1990, il crée la revue CENT 148 qu’il ouvre comme un pont entre les étudiants et la jeunesse des quartiers du Mirail de Toulouse.
Coopérative d’édition à la distribution nomade, TRIBU a publié, sous sa conduite, des auteurs comme Bernard Manciet, Jean-Luc Parant, Gaston Puel, Rafaël Alberti, Dominique Pham Cong Thien, Henri Miller ou le Sixième Dalaï-Lama à travers ses poèmes d’amour mystique. Membre du collectif pour la libération de Vaclav Havel, avec Karel Bartosek, il édita les Funambules de Prague et réalisa diverses interventions sous le mot d’ordre de Maïakovski : Je dévorerai la bureaucratie comme un loup. Encore, il fit paraître en 1975 avec Jacques Donguy, une anthologie de la poésie polonaise sous l’état de siège, en donnant la parole à des voix essentielles de son temps comme Krystof Karasek ou Adam Zagajewski.
La revue TRIBU, qu’il publia au CPC de l’Université du Mirail, a été l’expression d’un moment déterminant d’une aventure contemporaine de la poésie. Des auteurs comme Allen Ginsberg, Ernesto Cardenal, Henri Miller, Armand Gatti, Joan Brossa… écrivent alors dans ses éditions. Il fut l’éditeur de Jaroslav Seifert, prix Nobel de littérature en 1984. Dans son anthologie, Les funambules de Prague, réalisée avec Karel Bartocek, figure du Printemps de Prague, il donna à lire en France le philosophe Karel Kosik, Vaclav Havel, et le prix Nobel Jaroslav Seifert dont il était alors l’unique éditeur en France.

L’œuvre de Serge Pey, « justicière » et « témoignante », s’est souvent rangée aux côtés des humbles et des opprimés.
Dans la revue ÉMEUTE, qui posait les problèmes relationnels entre affranchissement et littérature, il rendit publics ses poèmes de solidarité avec les persécutés de l’Espagne antifranquiste, ainsi que du stalinisme.
Poèmes mis en république (1989), est un salut au calendrier révolutionnaire de Fabre d’Églantine.
En solidarité avec les progressistes victimes de la terreur en Algérie, il rédige Interrogatoire (CIPM) dédié aux assassins de Tahar Djaoud. Maints autres livres émaillent son orientation solidaire. En 1977, il transcrit Minute hurlée, sur l’Agenda de la résistance chilienne, puis Couvre-feu. (Agenda rouge du MIR Mouvement indompté du rêve, Éditions Al Dante, 2014).
Partisan de la lutte des zapatistes mexicains, il consacra plus d’une centaine d’actions et d’installations dans le monde, à leur engagement humaniste. Il prêta sa voix, en compagnie de quelques chanteurs ou hommes de théâtre français, comme Manu Chao, aux textes du Sous-commandant Marcos.
Encore, en 2009, il dédie une exposition de dessins et de « pièges à infini » au peuple sud-africain. Son Tombeau pour Saartje Baartman, est une dénonciation du colonialisme et de l’esclavage.
À Beaubourg, et dans diverses villes de France, associé à Oreste Scalzone, il organisa une série de manœuvres artistiques contre l’expulsion de France des militants italiens des années de plomb comme Paolo Persichetti, Cesare Battisti ou Marina Petrella. Ses dernières parutions sont issues des grands battements historiques de la poésie publique témoignante. Sa Sardane d’Argelès (Dernier Télégramme) a été proférée sur l’ancien camp de concentration du même nom. Table de négociation (Passe du vent) est dédié aux peuples autochtones du Canada, absents de la commémoration de la fondation de la ville de Québec. L’ange de sable (Éditons Litan, 2017) est un poème-lettre destiné à l’avocat général de Saint Omer au nom d’une femme condamnée pour le meurtre de son enfant.

UNE MYSTIQUE DU POÈME

Dans un même élan, sa poésie ne cessera jamais d’interroger aussi les chants souterrains de la théologie négative. Il consacre de multiples lectures publiques à Saint Jean de la Croix, Angelus Silesius, Sainte Thérèse d’Avila, Simone Weil. D’autres transcendances, aussi bien juives que soufies, Rûmi, Hallâj, la lecture du Zohar, viendront alimenter sa quête d’une langue captant les « trous de l’inconnu ». Notre Dame la Noire ou l’évangile du serpent, Apocalypse de Marie Madeleine, Prière pour le réseau Sabaté, témoignent de ce qu’il appelle une « libération de la liberté » à travers un détournement cérémoniel du religieux. Parallèlement à l’engagement de sa poésie, il aborde dans la langue occitane, après sa rencontre avec René Nelli et Félix Castan, la poésie des troubadours du Moyen âge. La flor inverso de Raimbaut d’Orange sera un enseignement majeur pour son exploration des mots croisés du langage. On peut lire ses sixtines, en hommage à Arnaut Daniel et à Joan Brossa, dans son livre  Jérôme Bosch, avertissement d’alchimie (Voix Édition).  « Le poète ayant aussi un devoir d’histoire », Nihil et Consolamentum, brosse le génocide du peuple occitan. Mais il est aussi une réflexion autour d’une dialectique mystique de la création cathare.
Bâtons de la différence entre les bruits, Dieu est un chien dans les arbres, Prophéties, l’Horizon est une bouche tordue, La main et le couteau, sont autant de recueils qui définissent dans sa parole une philosophie du sacré et du divin.

Nierika ou les mémoires du cinquième soleil, sont un hommage à l’anarcho-animisme des « peuples du poème » et aux respirations de la vision primordiale. Yasur (Éditions Rencontres) décrit sa rencontre avec une population première de l’île de Tanna, et le dialogue qu’il a pu établir avec un volcan en éruption, dans le Pacifique sud.
Lecteur de la Bible, à travers la traduction d’Henri Meschonnic, il établit une réflexion renouvelée sur le rôle de l’apocalypse et de la prophétie comme permanence du poème.
La Mère du cercle, et le Rituel des renversements, sont non seulement un exercice d’admiration rendu au derviche tourneur Michel Raji, mais un échange avec les poètes soufis.
Pour libérer les vivants il faut savoir aussi libérer les morts, Visage de l’échelle de la chaise et du feu, La direction de la grêle (Bernard Dumerchez), De l’équilibre des noms, poèmes des quatre bâtons de la balance, La spirale du sanglier (Ed. Rencontres), Traité des chemins et des bâtons (Bois d’Orion), Hypothèses sur l’infini (Tipaza), Virgule, point, nombre et majuscule (Bernard Dumerchez), sont autant de recueils « déchireurs d’invisibles » qui le porte dans une fraternité avec les poètes du Grand jeu.
Enfin, à travers son interprétation du Jardin des Délices, il relève la spiritualité alchimique de Jérôme Bosch (Richard Meier, Voix éditions). Sa réécriture théorique de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, à la lumière de l’Art royal, nous livre un roman souterrain inédit (Nouvelle Édition Place).

THÉÂTRE

Poète de la mise en espace de la langue, une partie de ses écrits ont été montés au théâtre par le Cornet à dès (Déluge de Jérôme Bosch, Féerie pour une autre fois, Toromagie/Coplas infinies pour les Hommes-taureaux du dimanche). Michel Mathieu, et le Théâtre de l’acte, mit en scène Tchernobyl que reprit Jean-Jacques Lebel à Beaubourg à l’occasion du décès de leur ami commun Félix Guattari.

Avec le Théâtre du Riel, il écrivit une adaptation scénique des Chants de Maldoror de Lautréamont, à Mexico en 1979. En 2009, il présenta Les os déterrés de Garcia Lorca, qui allie, selon sa singularité, la performance et le flamenco. Son livre de nouvelles, « Le Trésor de la guerre d’Espagne » (Zulma), a fait l’objet d’une adaptation théâtrale en 2012.
Jérôme Bosch, Le guerrier aux armures de serrures, a été mis en scène au Théâtre de Saint-Germain-en-Laye avec Chiara Mulas et Michel Raji (2016).

Lèpres à un jeune poète
196.

Transformer
chaque obstacle
en passage

Serge Pey
THÉORICIEN DE L’ART CONTEMPORAIN

Universitaire au parcours atypique (Ethnologie, Lettres modernes, Histoire contemporaine, archéologie préhistorique) Serge Pey soutint sa thèse d’histoire en 1973, sur l’agitation et la propagande, sous la direction de Rolande Trempé, de Georges Mailhos, Pierre Broué et Madeleine Rebérioux.
Théoricien de la poésie d’action, il est l’auteur d’une seconde thèse sur la poésie contemporaine : La langue arrachée, critique de la raison sacrificielle. C’est dans cette somme encyclopédique qu’il explora, jusqu’à ses plus ultimes conséquences, le mythe de Philomèle, justifiant sa définition du poème en tant que « rituel de sacrifice du langage ».
Lèpres à un jeune poète, principes élémentaires de philosophie directe (Délitédition), Poésie-action, manifeste d’écritures provisoires pour un temps intranquille (Castor Astral), sont un apport théorique singulier à la théorie de la poésie en acte au XXI° siècle.

Président de la Cave poésie de Toulouse, Serge Pey a donné voix, chaque lundi, pendant quarante ans, à l’aventure de la jeune poésie dans le cadre d’une Université populaire de poésie directe.
Avec le Centre d’initiatives artistique de l’Université du Mirail, Serge Pey lança une série d’événements de poésie d’action, parmi lesquels on peut relever : les Rencontres internationales de poésie contemporaines, Les Continents de la parole ou encore le Rassemblement contre toutes les inquisitions, à Montségur.

Membre de l’UNITÉ MIXTE DE RECHERCHE ESPAS (Art, Création, Théorie, Esthétique) SORBONNE-CNRS, professeur émérite et membre du laboratoire FRAMESPA, il a dirigé et fondé l’atelier/séminaire du Chantier d’art provisoire du CIAM de l’Université de Toulouse II-Jean Jaurès.
Satrape du Collège de pataphysique, il fonde avec Thieri Foulc, Chiara Mulas et le Théâtre sarde, Fueddu e gestu, la section sardonique du collège à Villasor (Sardaigne), en 2009.
Les prix de poésie francophone, Wallonie-Bruxelles et Yvan Goll, lui ont été attribués en 1989 et 2001. Pour son livre de nouvelles : le Trésor de la Guerre d’Espagne (Zulma), il obtient les prix de la Ville de Balma, le Prix des Lucioles, ainsi que le prix Boccace de la nouvelle. Le Prix Robert Ganzo lui a été remis au festival des Étonnants voyageurs, à Saint-Malo en 2013, pour l’ensemble de son œuvre. Son livre, Vengeons les mots  (Éd. Bruno Doucey), a obtenu le Prix national de Poésie de la Société des gens de lettres. Le Prix Guillaume Apollinaire  lui a été décerné le 6 novembre 2017 au café des Deux magots à Paris.
Ressuscitant le « Consistori del Gay Saber », il est le fondateur du Prix international et atemporel de poésie clandestine.